L'ÉVEIL DU PRINTEMPS - Note d'intention
Dans mes précédents spectacles, j’ai souvent cherché à redéfinir les frontières, à exciter les paradoxes, à brouiller les pistes entre acteur et personnage, réalité et fiction.
En abordant L’éveil du printemps, je voudrais continuer à creuser ce sillon.
Une question se pose souvent : comment faire jouer des enfants de 14 ans à des acteurs qui en ont le double ?
Ce n’est pas un choix par défaut, c’est un parti pris de mise en scène. Cet écart est une force, un véritable appui de jeu. Il ne sera pas question d’imitation. Je voudrais solliciter des acteurs qui en restant ce qu’ils sont, laissent entrevoir et deviner l’enfant qu’ils ont été. Il n’y a pas de prise de pouvoir de l’un sur l’autre.
Kantor dans La classe morte, avait confié les rôles de petits écoliers à des acteurs très âgés. Dans leurs dos, on apercevait le cadavre de leur enfance. Ici la distance est moins grande, mais le dialogue reste le même.
En parcourant la pièce, je sens comme un élan, une vitalité, quelque chose de pulsionnel dont il faudrait rendre compte. Je voudrais qu’on puisse entendre le mouvement intérieur des acteurs (le battement du cœur, le sang dans les tempes), que chaque scène s’ouvre comme après une course et que l’essoufflement soit palpable. Je voudrais aussi que la sensualité s’exprime pleinement.
Il me semble que pour raconter l’enfance, il faudrait en passer par le corps, le corps parlé mais aussi le corps en mouvement, le corps dansé.
Pour la première fois, je souhaite associer mon travail à celui d’un chorégraphe. David Wampach, danseur et chorégraphe a souvent exploré au fil de ses spectacles, le rapport du groupe face à l’individu, il a aussi travaillé sur une mise en jeu de l’intimité.
En l’associant à cette création, j’aimerais explorer le mouvement, de manière moins cérébrale, moins narrative. Je voudrais donner vie à ce groupe d’enfants autrement qu’à travers le texte et les dialogues, que dans l’interstice des scènes toute la place soit faîte au mouvement et à la danse pour retrouver la palpitation, le bouillonnement qui semble interne au texte.
La musique et le son auront aussi une place importante. Olivier Pasquet qui travaille à l’IRCAM, a souvent travaillé sur des formes de théâtre musical, récemment il a travaillé avec Aperghis pour sa pièce Machination. Il signera la bande-son de L’éveil du printemps.
Visuellement, j’imagine créer pour les acteurs un immense terrain de jeux. Terrain escarpé fait de bosses, de trous, de points d’eau, d’échafaudages... Un espace uni qui puisse évoluer, évoquer successivement une forêt, une décharge publique, un cimetière…recréer le rythme et l’atmosphère des saisons : l’été, l’automne, l’hiver, le printemps. Ce sera proche des dessins d’Henry Darger.
Les nombreux commentateurs de L’éveil du printemps et je pense particulièrement à Freud et Lacan, ont surtout insisté sur le ressenti des enfants, sur l’effet que produit sur eux l’éveil de la sexualité. Dans ces analyses, le caractère répressif joué par les parents et les valeurs de l’éduction bourgeoise sont relégués au second plan. C’est un aspect essentiel de la pièce. C’est malgré tout l’aspect qui m’intéresse le moins, il m’apparaît presque désuet. En travaillant à adapter la pièce, j’ai cherché à minimiser au maximum le rôle des parents, à les faire exister mais comme en hors champs, en tout cas à ne plus les rendre responsables de tous les maux de leurs enfants. C’est un parti pris radical. Mais il me semble que les choses ont radicalement évolué sur ces questions-là. Une cigogne n’est plus une hypothèse crédible, un clic suffit pour avoir une explication beaucoup plus plausible et plus détaillée, la preuve par l’image.
En travaillant avec des lycéens, je me suis rendu compte que les drames qui parcouraient la pièce (suicide, avortement, incarcération en maison de correction…) n’avaient rien perdu de leur actualité. Comme dans la pièce, on assiste à une faillite du système éducatif, simplement on n’éduque plus les enfants aujourd’hui comme il y a un siècle.
Je voudrais parler des enfants d’aujourd’hui.
L’écriture de Wedekind est radicale, il n’y a pas de complaisance, L’éveil du printemps flirte avec la cruauté, mais n’oublie jamais l’humour, la pièce s’autorise le lyrisme, mais ce n’est pas un lyrisme de pacotille. Les personnages ont des aspirations, encore faut-il qu’ils parviennent à résoudre leurs contradictions.
L’éveil du printemps : le titre porte en lui la problématique de la pièce. Éveil de la conscience, de la sensualité, de la sexualité…
Comment négocier le virage ?
C’est l’âge où l’on n’est plus un enfant, on perd officiellement son statut d’innocent, mais ce statut n’a-t-il pas toujours était galvaudé ?
Le printemps : aucune saison ne connaît tant de bouleversements.
Guillaume Vincent
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