L'ÉVEIL DU PRINTEMPS


"Je commençais à écrire sans aucun plan, avec l'intention d'écrire ce qui m'amusait. Le plan de la pièce s'établit après la troisième scène et combina des expériences personnelles et celles de mes camarades de classe. Presque chaque scène correspond à un événement réel."
F. Wedekind, Correspondance

Aborder L’éveil du printemps, c’est tirer le fil non pas d’une histoire, mais de plusieurs, c’est se confronter à une langue et à une écriture qui s’autorisent absolument tout : la tragédie, la poésie, le pathétique, l’humour…

Dans L’éveil du printemps, Wedekind fait état de cette période si particulière où l’enfant se meut en adulte. Il est bien question ici de mutation.
Mutation des corps mais aussi des âmes, l’inconscient commence à peine à livrer ses secrets et la conscience doit s’accommoder de la dure réalité des mystères de la procréation. Ce sont des questions concrètes. Ici, c’est à chacun à prendre son parti, à se débrouiller non comme il veut mais comme il peut.
Ne comptez pas sur les parents pour éclairer, dire comment ça se passe ou comment on fait : une cigogne, et l’affaire est dans le sac !
Nous sommes au printemps, les fleurs sont là, pas les fruits.

Melchior, Wendla, Moritz, Ilse, Martha, Hans, Théa, Ernst : voilà les héros (les victimes ?) de cette Kindertragödie.
Martha prie pour qu’on ne la batte plus, tandis que Wendla, elle, rêve de connaître la douceur du fouet. Au soleil couchant, deux jeunes garçons s’embrassent, ils se projettent dans l’avenir, Hans se verrait bien millionnaire, Ernst, lui, pasteur avec femme et enfants.
Moritz avoue son ignorance quant aux « mystères de la vie », Melchior s’improvise professeur d’éducation sexuelle.
Ilse est depuis longtemps passée de la théorie à la pratique, mais déjà, elle regrette la douceur des goûters d’anniversaire.
C’est que le printemps n’épargne pas nos personnages, deux d’entre eux trouveront même la mort. Pourtant Wedekind insiste et déplore « En travaillant, je me suis mis en tête de ne perdre l’humour dans aucune scène, si grave fût-elle… On ne veut toujours y voir aucun humour. » L’humour, voici une indication précieuse qui amène une véritable relecture de la pièce.

Publiée en 1891, la pièce fit scandale et dût négocier avec la censure, on y voyait une œuvre prompte à exciter la lubricité du spectateur. Depuis on la comprend mieux.
Brecht voyait en Wedekind un moraliste. Sous l’aspect sulfureux de la pièce, il est effectivement question de morale, mais aussi de dénonciation. C’est tout le système de la bonne éducation prussienne qui est mis à mal. L’ignorance est le pire des vices et la réalité doit être acceptée telle qu’elle est, fût-elle non conforme à nos désirs.
Pourtant Wedekind ne se fait pas théoricien ni pourfendeur d’une cause, il agit toujours en poète. Avec Lulu, L’éveil du printemps est un de ses plus beaux poèmes dramatiques. Comme toutes les grandes œuvres, elle n’en finit pas de fasciner et de livrer ses secrets, ou plutôt de les garder jalousement. S’embarquer dans L’éveil du printemps, c’est accepter de faire un voyage dont on ignore la destination, c’est prendre tous les risques, à commencer par celui de se perdre.
Guillaume Vincent

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